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samedi 30 décembre 2017

«Quand on dit non, on n’éduque pas» — Pardon?



 interdit-d-interdire
Comme tout le monde, j’ai un téléphone. S’il est intelligent, je ne sais trop, en tous cas, c’est un iPhone qui date et dont je ne serais pas capable de désigner le modèle. Mon forfait est à la carte que je le recharge une fois l’an et je m’en sers à l’occasion quand je ne suis pas avec ma femme qui a le téléphone principal de notre maison qui nous suit partout. Je m’en sers très rarement, sauf parfois quand je suis en vadrouille de quelques jours pour aller en ville voir mes jeunes par exemple. Il est ouvert à la maison et en lien avec le WiFi,  mais jamais personne ne m’appelle sur cette ligne, parfois je le prends parce que la tablette est trop loin et que je suis trop fainéant pour aller la chercher ou aller sur mon ordinateur portable. Je l’ai eu parce qu’une amie s’en débarrassait pour un modèle plus nouveau, sinon j’avais toujours mon cellulaire, pas intelligent celui-là, que j’avais acheté à la fin des années 2000 avant ce changement dans nos vies, enfin dans la vie des autres.

Je n’ai pas trop de mérite, j’ai enseigné dans les 8-9 dernières années en région éloignée, dans des coins reculés où le signal est inexistant ou de faible qualité dans le cas de ma dernière «mission». Enfin, de par mon métier, je suis assez constamment en train d’utiliser un portable soit à l’école soit à la maison et même, au salon, depuis quelques années, j’ai une tablette commode pour le confort. Je ne vois pas la nécessité de m’engager pour un forfait assez couteux qui ne me servirait pas vraiment. ET cette année, je ne suis mis en sabbatique et je ne bouge pas trop de chez moi…

Bref, je suis un peu mal à l’aise d’éduquer des jeunes à utiliser convenablement cet appareil comme suggère cette «experte» selon La Presse dont on me dit qu’il est devenu un «fléau» en tous cas en France, au point que cette dernière compte en interdire l’utilisation à l’école.

Bon, je ne suis pas complètement bête, je me doute bien du «fléau» en question, puisque dans ma dernière «mission», comme j’ai dit, les jeunes en avaient et on devait gérer le «problème». Mon acte éducatif occasionnel à ce sujet s’est borné à en confisquer quand un malheureux avait oublié d’éteindre sa sonnerie! Nous avions une politique assez claire et les jeunes devaient les laisser éteints dans leur casier dès leur entrée dans l’école. Les jeunes m’ont bien évidemment interpelé sur la question, car ils lisent, sur le Net, différents avis. Je leur expliquais mon utilisation, ce qui ne manquait pas de les surprendre même en région éloignée. Et je disais aussi que la littérature sérieuse n’était pas trop chaude à l’idée que cet «outil» serve vraiment la cause des apprentissages, même si des «vendus» à la cause des multinationales du numérique inondaient régulièrement l’espace public des effets «soi-disant» magiques des outils numériques sur les apprentissages, sans jamais toutefois prendre la peine d’aller au-delà de leur expérience extraordinaire pour démontrer leur vérité qui l’était du fait que des milliers d’autres moutons répétaient la même chose qu’eux… Évidemment, j’étais un peu plus clair dans mes explications ou enfin j’essayais d’être un peu plus pédagogique!

J’ajouterais que, lors d’une projection du film 1 : 54 que la direction a décidé de faire voir à l’ensemble de nos élèves du secondaire dans le cadre de l’éducation sur les effets de l’intimidation qui est un sujet assez constant dans nos écoles ces  dernières années depuis une certaine politique qui a vu le jour il y a quelques années, lors de cette projection, donc, j’ai pris conscience de l’élément fléau pour ce que l’«outil» pouvait devenir «arme psychologique» dans un contexte que j’ai bien connu à une autre époque dans les «petites guerres de popularité» qui se jouent ordinairement dans les milieux scolaires chez les jeunes de ces âges. Sporadiquement, ces guéguerres éclaboussent nos gestions de classe ou la vie scolaire. En fait, même si les téléphones étaient interdits dans nos murs au point que les enseignants qui s’en servaient à l’occasion se faisaient regarder avec de gros yeux, nous avons régulièrement géré dans l’école des situations les impliquant et avons fait plusieurs formations aux jeunes à l’aide de différents intervenants.

«Quand on dit non, on n’éduque pas»

Quoi? 

Notre experte reprend une idée phare du lobby du numérique, un mantra répété pour frapper les esprits très sensibles de nos jours sur la question de l’autorité qui est devenu un tabou. Bref, ce n’est pas une experte, elle est comme toutes les directions qui n’ont plus le souci quotidien de gérer une classe et qui sont devenus le jouet des vendeurs de bébelles pédagogiques qui se disputent le micro dans les congrès ou les réunions des directions d’une CS pour vendre leur popote numérique ou leur meuble pédagogique (sans blague, sont tendance les pupitres à table ajustable pour adonner des hyperactifs qui voudraient écouter votre cours debout si l’envie leur en prend. Misère!)

Or, je ne sais pas exactement ce qu’on entend de nos jours par éduquer, je fais le malin, mais, à mon sens, le gros de ma pratique consiste à instruire, c'est-à-dire faire assimiler des connaissances et développer des savoir-faire que nos sociétés dans une certaine tradition considère importante de faire apprendre à ses jeunes. Je suis un enseignant de français au secondaire et n’ai aucun diplôme en éducation à l’utilisation des cellulaires. Tout au plus, je peux enseigner des programmes différents du mien si j’en ai quelques connaissances et si cela accommode ma direction qui se doit de me rentabiliser en me tenant occupé, ce qui fait que j’ai enseigné, enfin instruit aussi les jeunes en maths, en certaines sciences et en ECR. C’est mon mandat premier, on ne me demande pas vraiment d’éduquer et, comme je le répète souvent, je ne suis pas le parent des jeunes qui entrent dans ma classe. Une définition de l’éducation concerne le fait de développer la personnalité du jeune. On s’entend qu'on ne me demande pas d’être le maître du jeune de nos jours, mais de lui enseigner dans le respect des programmes le français ou les maths, etc.

Mais bon, forcément, quand on met 10, 15, 25 ou 35 jeunes dans un espace et que l’on compte les instruire, il faudra mettre en place une certaine forme d’éducation. Il faudra gérer les rapports humains et, ce faisant, nous transmettrons des règles, des valeurs, de «bonnes manières» en classe pour que le climat y soit favorable aux apprentissages que l’on vise.

Et disons qu’à cette fin, on dit souvent «Non» avec toutes les ponctuations possibles et sur tous les tons!

Évidemment, dire non n’est pas le seul ingrédient de l’éducation nécessaire au cadre de l’instruction dans lequel tout bon enseignant doit apprendre à survivre au début puis à nager autant que faire se peut avec plus ou moins de succès. On enseigne des règles, on les fait intégrer, on les explique, certains les font même débattre (je ne suis pas chaud à cette idée), enfin on régule le comportement qui déborde forcément du cadre par moment, car la vie n’est pas un long fleuve tranquille quand on travaille avec des jeunes!

Et puis souvent on dit simplement «non». Non. Parce que si l’on essaye d’éduquer en profondeur un jeune avec toutes les explications du monde, on ne va pas s’en sortir et, finalement, on ne va instruire personne.

Un coup  les règles enseignées et réexpliquées à l’occasion, on gère le comportement avec les moyens du bord, voilà l’éducation. Car l’éducation n’est pas seulement, comme certaines âmes naïves aiment à le croire, de bien faire entendre les raisons d’une conduite morale, mais c’est aussi d'intervenir et de gérer des comportements avec une certaine autorité. Nos sociétés n’en font pas autrement. Sinon, c’est le bordel.

Tiens, aux nouvelles hier sur TV5, au TJ de France2 (que je regarde régulièrement, en raison de mon état matrimonial particulier!), la France constatait son inefficacité à éduquer les gens au sujet de la délinquance routière. Les accidents mortels y sont toujours en hausse. Le reportage comparait ce résultat à celui de la Grande-Bretagne, qui avait un bien meilleur score en ce domaine. En plus d’éduquer, la Grande-Bretagne a aussi multiplié la surveillance par radar au point qu’il est difficile de faire de la vitesse sans se prendre une contravention. Ensuite, on donne des amendes sans limites, ce qui fait qu’on a déjà donné une amende de 60 700 euros à un délinquant trop imbibé. On suspend même des permis à vie. À vie! Bref, les gens y pensent à deux fois…

La gestion de classe, c’est la même chose…

Bref, on peut interdire les cellulaires à l’école, tout en éduquant les jeunes sur ces questions. Enfin, quelque part, éduquer sur les questions de l’intimidation suppose que nous nous positionnons aussi en gérant cet aspect du problème pour au moins maintenir entre les murs de l’école un certain sentiment de sécurité contre ces nouvelles «armes». Après, ce qui se passe le soir, après l’école et durant les weekends, ce n’est pas de mon ressort ni de celui de mes collègues. Enfin, tant que ça ne prend pas des proportions dans le vivre ensemble de l’école. Et puis, si vous n’aimez pas que les gens vous «textent» en pleine face, gérez donc votre «classe»… N’attendez donc pas que l’école le fasse à votre place.

Bref, malgré les difficultés techniques que certains soulèvent, je ne serais pas contre l’empêchement par une loi des jeunes d’user à l'intérieur des murs de l’école de ces instruments qui leur apprennent si peu la patience et qui procurent des occasions illimitées de distraction. Quant à ceux qui revendiquent leur utilisation à des fins pédagogiques, j’y reviendrai peut-être, mais, pour le moment, je suis étonné qu’on utilise des outils que tous les jeunes n’ont pas en main, parce que forcément, moi qui n’en ai même pas un grand usage, je n’aurais pas payé un cellulaire à mes enfants. Je ne suis probablement pas le seul, puisqu’on laisse entendre ici et là qu’au moins 20% des jeunes n’en ont pas. Il y a autre chose dans la vie que les réseaux sociaux… Bref, dans cette interdiction qui ne vise qu’à aider le climat de nos classes à demeurer propice aux apprentissages, comme on dit, il n'y a pas mort d’homme…

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